12 mois pour contester la rupture de son contrat de travail ; 3 ans pour réclamer des salaires ; 5 ans pour contester une discrimination… En droit du travail, les délais dont disposent les salariés pour agir en justice sont variables. Et les choses se compliquent lorsque la demande du salarié soumise à un délai de prescription précis se fonde sur une action elle-même soumise à un autre délai de prescription !
Comment, dans cette hypothèse, déterminer le délai qui va trouver à s’appliquer ?
C’est à cette importante question que s’est attachée à répondre la Cour de cassation. Cass.soc.30.06.21, n°18-23932.
LES FAITS :
Un salarié est embauché le 21 janvier 2013 en qualité de DRH au sein d’un établissement de santé. Son contrat prévoit qu’il est en forfait annuel en jours. Or, à l’époque, aucun accord collectif ne prévoit la possibilité pour l’entreprise de recourir à ce dispositif de forfait-jours. C’est seulement le 23 mai 2014 qu’un tel accord d’entreprise est conclu : le salarié réitère alors une convention individuelle de forfait dans un avenant à son contrat le 20 juillet 2015.
Licencié en décembre 2015, il saisit, le 27 avril 2016, le conseil de prud’hommes afin de réclamer le paiement des heures supplémentaires qu’il a effectuées entre 2013 et 2015, et ce, en invoquant l’invalidité de sa convention de forfait jours.
Bon à savoir : Les salariés qui disposent d’une autonomie suffisante dans l’organisation de leur temps de travail peuvent être embauchés dans le cadre d’une convention de forfait annuel en jours. Dans ce cas, leur temps de travail n’est plus décompté en heures, mais en jours. Ils ne sont plus soumis aux durées maximales de travail ni à la réglementation relative aux heures supplémentaires. Leur rémunération est forfaitaire.
Mais attention, pour être soumis à un tel dispositif, encore faut-il (entre autres) qu’un accord collectif le prévoie et que le salarié signe une convention individuelle de forfait jours !
A défaut, le salarié peut saisir la justice afin de faire invalider sa convention et, dans le cadre de la même action, réclamer un rappel d’heures supplémentaires.
Pour l’employeur, l’action du salarié est prescrite. Selon lui, il s’agit avant tout d’une action en contestation de la convention de forfait jours, et non d’une action en paiement du salaire. Or, une action en contestation d’une convention de forfait doit être engagée dans un délai de 2 ans. La suite de son raisonnement est simple : le salarié ayant été embauché le 21 janvier 2013, il aurait dû engager son action avant le 21 janvier 2015. Il ne l’a fait qu’en avril 2016… soit, plus de 2 ans après la signature de son contrat de travail de 2013.
L’employeur se fonde pour cela sur l’article L. 1471-1 du Code du travail selon lequel : « Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». Et en effet, l’action qui tend à contester une convention de forfait jours est précisément une action portant sur « l’exécution du contrat de travail ».
Si le conseil de prud’hommes lui a donné raison, cela n’a pas été le cas de la cour d’appel qui, après avoir constaté que la convention de forfait jours était bien inopposable au salarié, c’est-à-dire qu’elle lui était en quelque sorte inapplicable, a considéré que la demande de rappel d’heures supplémentaires n’était pour sa part pas prescrite.
Bon à savoir : Une action en rappel de salaire peut effectivement être exercée dans les 3 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. C’est ce que prévoit l’article L.3245-1 du Code du travail (1).
Le salarié était donc encore dans les temps pour exercer son action !
Nous voyons bien là la difficulté : nous sommes face à deux actions aux délais de prescription différents : l’action en contestation de la convention de forfait jours, qui se prescrit par 2 ans (art. L.1471-1 C.trav.) et l’action en paiement du salaire (les heures supplémentaires), qui se prescrit par 3 ans (art. L. 3245-1 C.trav.).
Non satisfait, l’employeur saisit la Cour de cassation afin de déterminer quel était le délai de prescription applicable en l’espèce.
LA DURÉE DE PRESCRIPTION EST DÉTERMINÉE PAR LA NATURE DE LA CRÉANCE INVOQUÉE
Pour la Cour de cassation, les choses sont très claires :la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée.
Or dans cette affaire, la créance invoquée par le salarié est bien salariale ! L’action en paiement d’un rappel de salaire, même fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours, est donc soumise à la prescription de 3 ans prévue par l’article L.3245-1 du Code du travail. En conséquence, l’action du salarié n’était pas prescrite !
Cette solution, qui est très favorable aux salariés, dans le sens où elle retient le délai d’action le plus long, n’est pas vraiment nouvelle… En 2019, la Cour de cassation avait déjà admis que le salarié dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n’était pas prescrite, était recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail (2).
Bon à savoir : Autrement dit (et plus juridiquement), lorsqu’une demande de rappel de salaires se fonde sur un manquement à l’exécution du contrat, on considère que c’est le délai applicable à la créance invoquée (ici, le salaire) qui s’applique – et non celui applicable au fondement de l’action.
La Cour de cassation en a profité, dans le cadre de plusieurs autres arrêts, pour préciser quelques points en la matière.
• Dans le cadre d’une action en rappel de salaires résultant d’une demande de requalification d’un contrat à temps partiel en contrat à temps plein et d’une demande de reclassification professionnelle (actions prescrites par 2 ans), elle a privilégié le délai de prescription de 3 ans applicable aux rappels de salaire (3). Même chose pour une action liée à l’utilisation des droits affectés à un compte épargne-temps (CET)(4).
• Dans le cadre d’une action en versement d’une gratification liée à la médaille du travail fondée sur une discrimination, elle a retenu la prescription de 5 ans applicable en matière de discrimination (art. L. 1134-5 C.trav.)(5).
(1) Art. L.3245-1 C.trav. : « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »
(2) Cass.soc.27.03.19, n°18-23932 ; Cass.soc.27.03.19, n°17-23314.
(3) Cass.soc.30.06.21, n°19-10261.
(4) Cass.soc.30.06.21, n°19-14543.
(5) Cass.soc.30.06.21, n°19-14543.
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